Edito de “le Monde” Démocratie en Afrique : l’exception sénégalaise

Il est des actes qui font entrer un responsable politique dans l’histoire de son pays. Celui qu’a accompli Macky Sall, président de la République du Sénégal, lundi 3 juillet, en annonçant qu’il ne briguerait pas un troisième mandat à l’élection présidentielle de février 2024, en fait partie. L’ambiguïté qu’il entretenait sur cette question, arguant que la révision constitutionnelle de 2016 aurait « remis les compteurs à zéro », nourrissait la colère de la rue, menaçant de faire sombrer le Sénégal dans le chaos. Sa levée constitue un soulagement et une source de fierté pour ce pays souvent perçu comme un baromètre de la démocratie en Afrique. Début juin, la répression des émeutes, alimentées aussi par la mise à l’écart de son principal opposant, Ousmane Sonko, condamné pour « corruption de la jeunesse » à deux ans de prison ferme, avait causé la mort de vingt-trois personnes, selon Amnesty international. L’obstination de M. Sall était d’autant moins compréhensible qu’il avait lui-même été élu en 2012 contre Abdoulaye Wade, dont il avait dénoncé les tripatouillages constitutionnels destinés à se maintenir au pouvoir. Lundi soir, Macky Sall a sauvé son honneur et surtout la réputation du « modèle démocratique sénégalais », une exemplarité toute relative dans une Afrique de l’Ouest où se sont multipliés les régimes militaires. Alors que le Sénégal n’a jamais connu de coup d’Etat, deux de ses plus proches voisin (le Mali et la Guinée) sont aux mains de juntes. Depuis son indépendance, en 1960, le pays de la Teranga (l’« hospitalité », en wolof) n’a connu que quatre présidents, et les deux alternances politiques qu’il a vécues, en 2000 et 2012, ont eu lieu pacifiquement. De Léopold Sédar Senghor à Macky Sall, en passant par Abdou Diouf et Abdoulaye Wade, la « vitrine » démocratique n’a jamais été idéale. Mais la liberté d’expression qui prévaut dans le pays et le dynamisme de sa vie politique ont souvent contraint les dirigeants à écouter la population et à respecter la règle, sous peine d’être sanctionnés. Sage, la décision de M. Sall de passer la main en 2024 est aussi une habile manœuvre politique. Pour la première fois de l’histoire du Sénégal, le président sortant va organiser une élection à laquelle il ne participe pas. En retirant l’argument central de son premier opposant, il lui coupe l’herbe sous le pied. Mais, sans dauphin désigné, il donne également le signal d’une bataille dans son propre camp pour sa succession. Le président peut aussi jouer de ses prérogatives pour permettre ou non à M. Sonko, mais encore à deux autres opposants (l’ancien maire de Dakar Khalifa Sall et Karim Wade, fils de l’ex-président Wade), eux aussi condamnés en justice, de concourir à une présidentielle aux enjeux cruciaux. Le prochain président de ce pays pauvre − 38 % des habitants y vivent avec moins de 1,90 dollar par jour − devra gérer la nouvelle manne du pétrole et du gaz sénégalais off shore. Le geste salutaire de Macky Sall constitue un double avertissement. Aux militaires qui étendent leur emprise sur l’Afrique de l’Ouest et aux puissances étrangères qui, de la Russie à la Chine, tentent de convaincre les Africains que la démocratie n’est pas faite pour eux. Il ancre le Sénégal dans le club des pays où l’Etat de droit garantit la stabilité et commande le respect de la communauté internationale. Mais l’hommage général rendu à un dirigeant qui n’a fait que respecter la Constitution de son pays donne la mesure de l’état général inquiétant de la démocratie en Afrique de l’Ouest.