MOUSTAPHA ET BACHIR; LES SENTINELLES QU’ AUCUNE GEÔLE NE MUSELLE

MOUSTAPHA ET BACHIR , LES SENTINELLES QU’AUCUNE GEÔLE NE MUSELLE
Quand la justice dit non aux caprices du pouvoir, c’est la République qui respire
Berlin, le 30 juillet 2025
Ce jour où la Spree charrie des éclats de lumière et de mémoire.
Mes chers Moustapha et Bachir,
Bassirou vient de me transmettre, depuis le Café Le Rendez-vous des idées, la nouvelle de votre libération. Ici, à Berlin, j’ai levé les yeux vers les pierres noircies de la Bebelplatz où, jadis, on brûla des livres avant de vouloir brûler les esprits. Et j’ai souri. Oui, souri. Parce que votre sortie des geôles sénégalaises n’est pas seulement une victoire intime, c’est une gifle donnée à ceux qui croyaient que l’intimidation et les « délits taillés sur mesure » pouvaient réduire au silence les consciences qui décortiquent les mensonges du populisme.
Moustapha, te voilà condamné à… quinze jours, après deux mois de détention ! Quinze jours ! Voilà donc à quoi se résume l’instrumentalisation d’un appareil judiciaire par un prince en mal de majesté. Et toi, Bachir, te voilà avec deux mois avec sursis pour avoir dit tout haut ce que d’autres murmurent. On croirait lire les petites vexations légales qu’Hitler imposait dans les années 1930, lorsqu’il fabriquait des « délits circonstanciels » pour habiller sa peur des plumes et des voix libres. Ce qui me fait rire – et il faut bien rire parfois pour ne pas pleurer- c’est que même les juges, cette fois-ci, ont dit non.
Je veux saluer ici ces magistrats qui, par leur délibéré, rappellent à tous que la justice, lorsqu’elle respire hors des griffes d’un parti, redevient le dernier rempart de la République. Oui, leur courage est encore timide, mais c’est ainsi que naissent les grandes souverainetés judiciaires : par des gestes qui fissurent l’arrogance des hommes en place.
Mes chers amis, je sais ce que signifie la privation de liberté pour délit d’opinion : en Allemagne, ceux qui osaient contredire la meute nazie étaient d’abord tournés en dérision, puis mis en détention préventive, puis effacés. Vous n’êtes pas de ceux qui se taisent. Vous êtes ces « sentinelles de pierre » dont je parle souvent, celles qui ne demandent ni salaire ni faveur mais qui veillent, debout, même dans l’ombre.
À Dakar, Bassirou m’a dit que votre libération a soulevé les débats au Café. On y a ri, beaucoup, de cette parodie d’offense rejetée. Mais on y a surtout vu un signe : celui qu’il est encore possible de rendre la justice au peuple et non au parti. Il est temps maintenant de franchir le pas que tout républicain attend : la libération de tous les détenus politiques, comme l’a promis le Président Diomaye Faye. Car une République qui garde ses geôles pleines de prisonniers d’opinion n’est pas souveraine ; elle n’est qu’un décor à peine repeint.
Quant à Ousmane , qu’il sache ceci : les bouches qu’il veut museler ont appris à parler même à travers les barreaux. Plus il brandira ses délits d’offense, plus ses échecs le rendront ridicule. Hitler lui aussi croyait faire taire ses opposants par la loi avant de recourir à la force brute. Il avait oublié une chose simple : les mots ne meurent pas. Ils se transmettent, ils s’impriment, ils finissent par lasser les tyrans.
Alors, tenez bon, Moustapha et Bachir. Vous avez payé de votre liberté provisoire ce qui devrait être le bien commun de tous : le droit de parler sans trembler. Faites-en une force. Portez plus haut encore votre voix, non par vengeance, mais pour qu’aucun juge, demain, ne se sente seul à dire non aux intimidations.
Depuis Berlin, je vous adresse mon amitié grave et rieuse, celle qu’on réserve aux compagnons qui savent que la République est un flambeau fragile qu’il faut tenir à deux mains. Et je lève ma tasse de thé en vous imaginant, libres enfin, retrouver les vôtres et vos mots.
La justice a encore des marches à gravir. Mais aujourd’hui, grâce à vous, elle a levé le pied.
Aus Mut wird Recht, und aus Recht wird Freiheit.
(Du courage naît le droit, et du droit naît la liberté.)
Karl
Le Vieux Berlinois