CÔte d’Ivoire:La Candidature d’Alssane Ouattara; une Sclérose politique à risque

Le Président ivoirien Alassane Dramane Ouattara a enfin déclaré ce mardi 29 juillet sa candidature pour l’élection présidentielle d’octobre prochain pour un quatrième mandat successif depuis 2011. A 83 ans, l’homme est vieux et malade mais refuse de partir. Une honte de trop.
Le grabataire Alassane OUATTARA (83 ans) esseulé et essouflé aura tenu en haleine ses partisans aussi bien que ses adversaires. Le suspense lourd d’incertitudes vient de livrer les dernières cartes de l’homme fort d’Abidjan. Finalement, le « Vieux ADO » a plongé, cou, pieds, mains dans le marigot politique d’Ébrié. Il a déclaré ce mardi 29 juillet 2025 dans une allocution retransmise à la télévision : “Je suis candidat, parce que je veux que notre chère Côte d’Ivoire continue de demeurer un pays prospère, en paix et en sécurité ». À 83 ans, une telle décision soulève des interrogations profondes sur les plans constitutionnel, démocratique, générationnel et pour la stabilité du pays.
Manigances et manipulations à flots
La déclaration de candidature d’Alassane Ouattara pour la présidentielle d’octobre 2025 a suscité de vives réactions en Côte d’Ivoire, notamment en raison des accusations de manœuvres politiques visant à écarter ses adversaires, dont Tidjane Thiam, un des grands favoris de cette présidentielle. Une campagne de déstabilisation a été menée dans les médias pro-gouvernementaux pour discréditer cet adversaire, en mettant en avant ses liens avec la France et en le présentant comme un candidat «étranger» aux réalités ivoiriennes.
La Commission électorale indépendante (CEI), accusée de partialité, a joué un rôle clé dans le rejet des candidatures adverses, notamment en interprétant de manière restrictive les conditions d’éligibilité. Des recours juridiques pourraient être déposés pour contester la candidature de Tidjane Thiam ou d’autres opposants Laurent Gbagbo, Guillaume SORO, Charles Blé Goudé, prolongeant les litiges et affaiblissant leur campagne.
Le pouvoir aurait encouragé les divisions au sein de l’opposition, notamment en soutenant des candidatures alternatives pour fragmenter le vote anti-Ouattara. Les médias publics et les réseaux sociaux pro-gouvernementaux ont été utilisés pour promouvoir la candidature d’Alassane Ouattara, tout en minimisant ou en dénigrant celles de ses adversaires.
La controverse constitutionnelle et juridique
L’argument central contre un quatrième mandat est d’ordre constitutionnel. La Constitution ivoirienne de 2016, promulguée sous le propre magistère de M. Ouattara, limite explicitement le nombre de mandats présidentiels à deux.
Cependant, le camp présidentiel a déjà utilisé un argumentaire juridique pour justifier le troisième mandat de 2020 : l’instauration d’une nouvelle République (la IIIe) aurait remis les compteurs à zéro. Cette interprétation, qualifiée de « coup d’État constitutionnel » par l’opposition, a créé un précédent. Postuler pour un quatrième mandat reviendrait à confirmer que les limites de mandat peuvent être contournées par un changement de constitution, vidant ainsi de sa substance l’un des verrous démocratiques les plus importants.
Cette quatrième candidature renforce l’image d’un droit constitutionnel « à la carte », modelé pour servir les intérêts du pouvoir en place plutôt que pour garantir un cadre institutionnel stable et prévisible.
La personnalisation hypertrophiée du pouvoir
La longévité au pouvoir d’Alassane Ouattara, si elle se prolongeait, poserait la question de la personnalisation de l’exécutif. Depuis plus d’une décennie, la politique ivoirienne est largement façonnée par sa figure. Cette concentration du pouvoir tend à affaiblir les contre-pouvoirs institutionnels et à freiner l’émergence d’une nouvelle génération de leaders au sein même de son parti, le Rassemblement des Houphouëtistes pour la Démocratie et la Paix (RHDP).
L’absence d’un « dauphin » clairement identifié et préparé est symptomatique. Elle suggère une culture politique où la succession n’est pas organisée, laissant planer un risque d’instabilité ou de luttes intestines le jour où le président se retirerait. La démocratie repose sur la force des institutions, pas sur celle d’un seul homme, aussi compétent soit-il. Un quatrième mandat enverrait le signal que le système politique ivoirien reste dépendant d’une personnalité providentielle, au détriment de la consolidation institutionnelle.
La question de l’âge, une gêne désobligeante
À 83 ans en 2025, la question de l’âge du président Ouattara est inévitable. Elle ne concerne pas seulement ses capacités physiques et intellectuelles à diriger le pays pendant cinq années supplémentaires, mais aussi le message envoyé à la jeunesse ivoirienne.
La Côte d’Ivoire est un pays à la démographie très jeune, dont une large partie de la population n’a connu que la « vieille garde » (Bédié, Gbagbo, Ouattara) à la tête de l’État. Le maintien au pouvoir d’une figure octogénaire peut être perçu comme un blocage des aspirations au renouveau et à la représentation politique. Cet argument est d’autant plus fort que M. Ouattara avait lui-même exprimé en 2020 son souhait de « passer le flambeau à une nouvelle génération » avant de revenir sur sa décision après le décès de son dauphin désigné, Amadou Gon Coulibaly.
L’éventualité d’un quatrième mandat pour Alassane Ouattara place la Côte d’Ivoire à un carrefour. D’un côté, la promesse de la continuité économique et d’une stabilité incarnée par un leader d’expérience. De l’autre, le risque d’un recul démocratique, d’une sclérose politique et d’une rupture avec les principes de l’alternance et du renouveau générationnel. Au-delà de la personne d’Alassane Ouattara, la décision qui sera prise déterminera la trajectoire de la démocratie ivoirienne pour les années à venir : celle d’un État de droit où les règles s’appliquent à tous, ou celle d’un régime où la raison d’État et la volonté du prince priment sur la lettre et l’esprit de la Constitution.
Par Oussouf DIAGOLA, Envoyé Spécial